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Ultras mornes

Auteur(s) : Alexandre Duyck et Paul Miquel

En temps normal, ils ne loupent aucun match et chantent à gorge déployée depuis des tribunes qu’ils aiment pleines et animées. Mais depuis de début de la crise sanitaire, c’est le néant. Balade dans la France des supporters désœuvrés.


  • Année de parution : 2021

  • Media : L’Équipe Magazine
  • Photo(s) : NC
  • Année de parution : 2021

Extrait

Puisqu’il faut bien, tout de même, mettre un peu d’ambiance, Brassens puis Brel, surtout, chantent à tue-tête. Nous sommes dans une boulangerie de la Loire, à Saint-Chamond, à 13km à l’est de Saint-Étienne. Comme les restaurants et les bars sont fermés, on y retrouve
Jean-Philippe Siroux, 51 ans, qui travaille dans les environs. Informaticien, il est l’un des fondateurs du groupe d’ultras stéphanois les Magic Fans, qu’il a créé, avec quelques copains (ironie du sort dans le département du Rhône, où il étudiait alors) en 1991*. La chair est triste, hélas ! Et pas qu’elle.
Siroux n’a plus assisté à un match de foot depuis un ASSE-Bordeaux (1-1) le 8 mars juste avant le début du premier confinement. « Je n’ai pas revu le stade depuis, même si j’y pense tout le temps. Mais je ne veux pas le voir, le manque est trop fort, je veux me protéger du foot», assure-t-il. Avant, il se demandait comment faisaient ses copains interdits de stade.
«Maintenant, c’est nous tous qui le sommes. Ce n’est pas vraiment un deuil, car un décès, c’est défi-nitif. Mais c’est quand même un monde qui s’effon-dre. Je n’aurais jamais imaginé ça.»

Quand on aime le foot, comment bien vivre les Championnats tronqués, les jauges de supporters puis les matches à huis clos, autant de conséquences de la crise sanitaire actuelle ? Mais, quand on est un ultra, quand on s’implique comme un fou, à corps perdu, sans compter ses heures ni son argent pour son club, la situation se vit avec une autre intensité, même si tous nos interlocuteurs, crise sanitaire oblige, se résolvent aux mesures radicales prises par le gouvernement, comme partout ailleurs en Europe. Quand la vie personnelle, familiale, amicale, professionnelle est d’abord conçue en fonction du match du week-end, à domicile comme à l’exté-rieur, et que, là, tout s’arrête, sans que l’on sache quand on pourra retourner au stade. « Ma vie, je l’ai toujours vue comme ça, reprend Jean-Philippe Siroux. Je n’ai jamais assisté à un mariage ou un baptême les week-ends de derby. L’école ou le boulot pouvaient être pénibles, ce n’était pas grave tant qu’ily avait un match en fin de semaine. » A 13 ans, sa mère lui disait: « Ça te passera. » Elle avait tort.