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L’amère patrie des harkis

Auteur(s) : Alexandre Duyck

Aujourd’hui encore, certains l’appellent avec mépris le “village des arabes”. Mas-thibert, en Camargue, fut le refuge, après 1962, de milliers de harkis. Parqués dans des camps puis logés dans des préfabriqués, traités en sous-citoyens, l’état n’a pas eu de gratitude pour ses loyaux “supplétifs” qui ont combattu à ses côtés pour l’Algérie française. Soixante ans après la fin de la guerre, cette considération vient enfin, à travers un projet de loi prévoyant une réparation financière. Mais les filles et les fils de Mas-thibert attendent surtout une reconnaissance globale des souffrances endurées.


  • Année de parution : 2022

  • Media : Le Monde
  • Photo(s) : Anaïs Boileau
  • Année de parution : 2022

Extrait

Un poisson tatoué nage entre les rides, le long de la main gauche d’Abdelkader Aliaoui. Dessiné à l’encre bleue, il est surmonté d’un mot, inscrit en lettres capitales : LIBERTÉ. « Le poisson, il est libre d’aller où il veut, d’un côté ou de l’autre de la mer. » Né en 1931 en Algérie, le vieil homme s’est assis, chèche noué sur le haut du crâne, à une table du Ô Bistrot, l’unique café-épicerie de Mas-Thibert. Situé à quinze minutes au sud du centre-ville d’Arles, le village de près de 2 000 habitants est rattaché adminis- trativement à la sous-préfecture des Bouches-du-Rhône, plus vaste commune de métropole. Dans toute la région, le lieu est connu pour être « le village des harkis ». Ancien soldat d’origine algérienne ayant combattu dans l’armée française de 1956 à 1962, Abdelkader Aliaoui explique, pouce vers le haut : « Toute la vie ça a été la démerde, mais Mas-Thibert, c’est comme ça. »
Soixante ans ont passé depuis la fin de la guerre d’Algérie. Le 25 janvier, le Sénat a adopté à l’unanimité, en première lecture, le projet de loi portant « reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie (…) et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles…» Si le texte est voté, l’État indemnisera les personnes ayant séjourné dans des camps de transit et des hameaux forestiers (construits pour employer les harkis à des travaux de reboisement), entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975. Deux mille euros pour un séjour de moins de trois mois, 3 000 pour plus de trois mois, augmentés de 1 000 euros par année supplémentaire.