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Le peuple invisible des vergers du Gard

Auteur(s) : Alexandre Duyck et Éric Besati

Équatoriens, colombiens, vénézuéliens, les sud-américains sont les forçats des exploitations de fruits de Beaucaire depuis une dizaine d’années. Main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci, ils ont malgré tout trouvé sur les bords du Rhône l’espoir d’une vie meilleure et s’y sont installés avec leur famille. Dans ce bastion du rassemblement national, les membres de cette communauté grandissante restent considérés comme des citoyens de seconde zone et peinent à s’intégrer alors qu’ils contribuent, avec leurs commerces, à faire revivre un centre à l’abandon.


  • Année de parution : 2023

  • Media : Le Monde
  • Photo(s) : Margaux Senlis
  • Année de parution : 2023

Extrait

ILS SONT DES CENTAINES, un samedi soir d’été. Nous sommes en Provence, le Rhône ne coule pas loin. Une sorte d’immense parking perdu tout au bout d’une piste cabossée, impossible à trouver si on ne connaît pas. Tout le monde parle espagnol, les corps dansent au son d’une musique latine balancée par des haut-parleurs. Dans le ciel s’élèvent les fumées des stands de cuisine, où des femmes et des hommes font griller et cuire l’hornado de chancho, cette recette traditionnelle équatorienne de porc rôti dans une marinade de bière, d’ail, de cumin et de graines de rocou, arbuste des régions d’Amérique tropicale. La bière, blonde et légère, coule à flots, les gamins jouent, tout le monde parle fort. Sur quatre terrains improvisés, on joue au volley-ball, à trois contre trois, tel qu’il se pratique en Équateur. Plus loin, deux équipes de football s’affrontent, les jaunes finissent par l’emporter aux tirs au but et posent pour la photo accompagnés d’un énorme pitbull. Entre eux, ils nomment ce lieu la Cancha, le « terrain ». Il y a quatre ans encore, la fête hebdomadaire se déroulait sur le grand parking du champ de foire de la ville de Beaucaire (Gard). Mais le maire Rassemblement national (RN), Julien Sanchez, leur a demandé de partir. Le 8 septembre, la mairie d’Arles (Bouches-du-Rhône), dont dépend le terrain vague, les a aussi sommés de se mettre en conformité avec la réglementation sous peine d’être expulsés. « Ce lieu, c’est notre moment de retrouvailles et de joie chaque semaine, c’est très important pour nous de venir ici », explique en espagnol le capitaine de l’équipe de foot victorieuse, prénommé Soto, 25 ans, dont huit passés en France. Le soleil commence à décliner, une armada de moustiques surgit, mais ne décourage pas le père Ronald Niño, aumônier de la communauté latina, de célébrer en espagnol la messe en plein air. L’autel est kitsch, arche de fleurs en plastique, portrait géant de Jésus sur fond rose pastel.